Une Alouette sur La Loire (1985)

Prequ’île du Cotentin, printemps 1985.
Je commandais le bâtiment de soutien mobile "Loire". Ce n’était pas un bâtiment prestigieux mais les bateaux, c’est comme les avions: il suffit de les aimer et ils vous le rendent. Comme les avions ils aussi une âme: leur équipage. A bord, sur la plate-forme arrière exiguë, nous avions une Alouette III qui permettait d’assurer aisément le soutien en pièces de rechange ou les évacuations sanitaires des bâtiments de guerre des mines* que nous soutenions. Il était courant de procéder à des hélitreuillages en station verticale pour les approvisionner ou transférer du personnel.


La Loire et l'alouette en cours "d’appontage"
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Les parages de la Prequ’île du Cotentin sont malaimés des marins: la Royale y connut une terrible défaite face à l’Anglais quelques siècles plus tôt mais surtout, les courants de marée font jusqu’à sept, parfois dix nœuds qui méritent que l’on y porte toute l’attention nécessaire quand la vitesse du bâtiment en atteint difficilement quinze. La Loire, avec son unique arbre d’hélice et ses deux faibles moteurs en ligne, n’avait pas vraiment de défense mais c’était part de notre entrainement que naviguer dans des eaux difficiles.
Ce jour-là le ciel était bas, la visibilité médiocre et un vol de deux heures était programmé. Mon second était un marin accompli. Me mettant en tenue de vol pour faire le copilote de l’Alouette III, je montai à la passerelle et le fis appeler. Il eut à peine le temps de s’étonner de ma tenue que je lui dis: " l’enseigne de vaisseau X est officier de quart, les routes sont tracées sur la carte, vous assurerez l’intérim du commandement. Je me reposerai dans deux heures. Voici le profil du vol… A tout à l’heure."
Le pilote chef du détachement était qualifié instructeur, ce qui l’autorisait à me laisser les commandes bien que je ne fusse pas breveté "hélico". Je connaissais bien l’Alouette et j’eus la joie de la décoller de cette plate-forme mouvante pour un long vol de surveillance qui nous conduisit au-dessus d’eaux tumultueuses vers divers récifs isolés puis vers la terre; par moment la Loire perdait non seulement le contact-radar mais aussi radio et les conditions météo n’allaient guère en s’améliorant. Mono-turbine, l’Alouette III en service depuis trente ans était réputée sûre - elle détenait le record d’altitude pour ce type d’aéronef – il n’y avait pas lieu d’être soucieux.

L'alouette
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Deux heures plus tard nous retrouvâmes la silhouette grise sur la mer verdâtre et fond de ciel gris… C’est dans cet environnement que je fis mon unique "appontage" comme pilote d’hélicoptère avec les conseils appropriés de mon instructeur. Je retrouvai un second soulagé – il avait craint avoir perdu son commandant, m’avoua-t-il plus tard – et heureux de la confiance témoignée. Cette confiance est celle qui est donnée à chaque pilote de monoplace partant pour un vol en solitaire, que l’on fait à tout chef de patrouille partant avec deux, trois, quatre avions, et autant de pilotes pour une mission parfois complexe. Confiance, délégation d’autorité, initiative pour faire face aux situations l’exigeant et rigueur sont les clés du mode de fonctionnement de l’aviation de combat, en retour de quoi il n’y a pas de pardon quand la faute est flagrante et que la confiance a été trahie...

Mon second me dit plus tard avoir bien compris la portée du geste. L’année suivante il commandait à la mer.
Goz Beïda le 11 juillet 2002.

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*Un navire de guerre des mines est un navire de guerre utilisé dans des opérations navales dites de guerre des mines et conçu pour détecter, détruire ou mouiller des mines marines.

Jour de chance (2011)

En cette matinée du 21 juin, le soleil brillait sur la Corse et une bonne brise agitait les feuilles sur les arbres. J’avais appelé ma fille deux heures avant pour lui souhaiter un joyeux anniversaire en musique en ce jour de solstice.

Nous étions un groupe de cinq parapentistes, d'un niveau moyen (moi en l’occurrence) à très élevé (pour notre brevetée d’ État). Notre cornac, un Béarnais installé depuis prés de 20 ans en Corse qui nous servait de guide, nous avait fait un tableau du site où nous nous trouvions qui nous avait laissés rêveurs et enthousiastes. Pour lui, inutile d’aller reconnaitre ce qui servait de terrain de recueil en cas de "plouf"* car le "plouf" n’était pas au programme. Précautionneux, mon groupe et moi étions tout de même passés le voir, pour constater qu’il ne serait d'ailleurs pas forcément facile de s’y poser. Mais comme ce n’était pas au programme, cela nous laissa sereins.

Toute l'équipe
Une demi-heure plus tard nous étions arrivés à l’emplacement du décollage. Las, le vent était assez fort et de travers, ce qui laissa le temps à notre cornac de nous détailler le vol prévu: après décollage, virage à droite pour capter une première "pompe", pardon, un premier thermique, qui devait nous amener un peu plus haut pour y capter une deuxième pompe nous conduisant à un premier sommet. De là, grâce à la bonne brise maritime, nous progresserions au dessus d’une ligne de crêtes, jusqu’à un sommet bien connu de nous avant de plonger sur la belle plage à proximité de laquelle se trouvait notre paradisiaque terrain de "camping"! En tout une quinzaine de kilomètres à parcourir pour aller se baigner dans les eaux bleues du golfe clair…

Nous étions bientôt tous prêts à nous mettre en vol. Le feu fut ouvert par notre cornac effectuant un décollage acrobatique vent de travers, évitant d’extrême justesse d’accrocher un arbre avant de prendre la direction de la première pompe. Un autre courageux s’élança (nous l'appellerons "le courageux") puis la compagne du cornac: ces deux là réussirent à prendre un peu de hauteur, ou à tout le moins se maintenir, elle mieux que lui, tandis que notre téméraire cornac s’engageait sur la pente descendante vers le terrain de recueil. Consternation! Bientôt le courageux prenait le même chemin tandis que, les uns après les autres, nous nous élancions sans illusions sur le profil de notre vol.

La radio retentit des conseils empressés dans lesquels transparaissait une certaine inquiétude de la part de notre cornac à notre courageux pilote pour l’assister dans la négociation de son atterrissage. Ça n’avait pas l’air de la tarte!

Puis ce fut mon tour de prendre la pente descendante. Cependant, ma voile de collection (je plaisante, 13 ans d’âge seulement) n’avait pas les qualités aérodynamiques pour prendre la voie directe: celle-ci obligeait à passer une crête pour arriver tranquillement au dessus du terrain. Je fus obligé de contourner la crête, profitant de quelques "bulles" pour gagner quelques mètres au passage. Je regardais avec envie le beau terrain qui me tendait les bras sur ma droite mais interdit d’usage depuis un an par un propriétaire sourcilleux sur le droit de propriété.


Le terrain d'atterrissage de rêve...
pas pour nous aujourd'hui!

Il ne me restait plus qu’à me laisser pousser vers le goulet par le vent, un rien "rafaleux", tiens, tiens, qui m’amènerait sur la branche "vent arrière" du circuit d’atterrissage. Jusque là j’avais bien maîtrisé mon vol, ma voile et l’atterrissage proprement dit ne m’inquiétaient pas.


Sur les Crêtes

J’étais à trente mètres du sol environ quand, en une fraction de seconde, poussée très probablement par une rafale violente due à l’effet Venturi du goulet, ma blanche voile passa de sa position normale de vol au dessus de ma tête à une position qui me la fit voir, toujours bien gonflée, se détachant sur le sol et la végétation!

Ma seule pensée fut alors: "c’est comme cela que ça arrive!"

Il me restait deux ou trois seconde de chute libre avant de m’écraser au sol. Aussi quelle ne fut pas ma surprise de me retrouver assis sous ma voile à un mètre du sol. Eh oui, j’avais rattrapé la voile dans ma chute pour "tangenter" la surface du globe. Je n’étais donc ni écrasé ni mort, mais toutefois dans une position délicate pour négocier mon retour au plancher des chèvres: devant moi un roncier et je volais au ras du sol à une vitesse/sol d’environ 80 Km/h, peut-être plus, en raison du mouvement de balancier auquel j’avais été soumis.

Je commençai par traverser le roncier pieds en avant pour finalement toucher le sol, entrainé par la voile qui, elle, n’avait pas été ralentie par la végétation… Je fis une rude cabriole sur ce sol sec et caillouteux et ma tête casquée encaissa un choc violent qui ne me fit pourtant pas perdre connaissance.

Le seul témoin (le deuxième à s’être posé) vint vers moi tandis que je me relevai péniblement, tout en prévenant les autres par radio des dangers du circuit. Quant au cornac, il était allé prendre une bière un peu plus loin dans un bistrot de campagne! Il y eut des approches difficiles dans les minutes qui suivirent mais finalement nous nous retrouvâmes tous entiers en dépit de péripéties à faire se dresser les cheveux sur le crâne d’un chauve.

Dans les jours qui suivirent je me suis plusieurs fois posé la question de savoir si je n’avais pas subi un traumatisme crânien, pour y répondre par la négative malgré quelques symptômes. Ma confiance dans les capacité d’auto-réparation de notre organisme me faisait considérer les choses avec optimisme et puis la Corse était belle, les vols splendides, les montées pour atteindre les départs certes longues et fatigantes mais je marchais mieux que certains autres, plus jeunes que moi…

Trois mois plus tard, je subis en urgence à trois heures du matin dans un hôpital parisien une double trépanation pour évacuer deux hématomes sous-duraux. Il était temps. Si j'étais opéré à Paris, c'est que j'avais quitté ma région du bord de mer pour la capitale, dans l'idée de descendre vers les montagnes par le train de nuit, afin de présider le lendemain un comité directeur de l’école de parapente…. Grâce à une coalition familiale, j’avais pu être intercepté à la descente du train à la gare Montparnasse, train que j’avais pris sans considération des mises en garde quotidiennes que m’adressait Soizic depuis plusieurs jours. Je ne disposais en fait plus vraiment de mes moyens intellectuels et mon aptitude à bien juger la situation avait décidément connu quelques ratés au cours des dernières semaines !

36 heures après l’opération, j’étais debout. Tout le monde avait eu très peur (sauf moi, décidément inconscient) et dans les meilleures traditions gauloises, le dimanche soir la famille venue de l’ouest et du sud-est était réunie autour d’une table d’un restaurant du quartier Montparnasse. Avec un rosé corse en apéritif bien sûr sauf pour moi bien évidemment condamné à ne boire que de l’eau claire ce soir là…

C’est donc par deux fois pour un même vol que la chance avait été au rendez vous ! Il s’en était fallu d’une fraction de seconde que ce ne fût l’anecdote que je n’aurais pas pu écrire.


Le Peyréga, le 30 juillet 2012

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* un plouf est un vol consistant uniquement à descendre. C'est généralement le vol en conditions de fin ou de début de journée (pas de brise, pas de thermique).