Routo-dromie (1962)

Les navires, les avions, quand ils naviguent au long cours, suivent une loxodromie le plus souvent ou une orthodromie pour les très longues traversées ; mais un pilote débutant aux prises à de médiocres conditions météorologiques, que pouvait-il bien suivre dans les années heureuses - les années 60 - où l’on pouvait se mettre en l’air avec des avions dépourvus de radio et d’instruments de navigation?
C’était en juillet 1962. Vingt Stampe pour vingt aspirants - autant dire un troupeau - lâchés sur l’avion depuis seulement quelques semaines naviguaient individuellement. Trois moniteurs, intercalés dans la chaîne dans trois autres Stampe comme autant de chiens de bergers, veillaient à la sécurité et à la discipline. Dans le rôle du berger, le Commandant de l’escadrille aux commandes d’un bimoteur transportant trois mécaniciens. Je mesure aujourd’hui la responsabilité qui était la sienne, assumée avec le sourire que soulignait encore son accent méridional.


Préparation de la navigation

Le trajet
C’est dans cet équipage que nous décollâmes un jour de juillet de la presqu’île de Crozon à Saint Malo, poursuivant par Rennes, Quiberon, La Roche sur Yon… Justement ce jour-là nous essayions d’aller de Quiberon à La Roche en Vendée mais une "Loire" bouchée (par les nuages) nous avait obligés à nous poser à La Baule le matin. Les choses s’améliorant, le commandant de notre escadrille relança les départs à raison d’une ou deux minutes entre chaque avion, avec interdiction de nous retrouver une fois en l’air compte tenu de notre inexpérience. Je partis dans les derniers, vingt minutes après mon ami Michel, aux environs de 16 h. Jusqu’à Nantes, tout fut facile.


Les Stampe bien alignés

Le bimoteur du "berger", et le troupeau!

C’est à la sortie de Nantes que les choses se compliquèrent, bien que la ville d’alors n’eût rien de tentaculaire (avec ZAC et ZI comme aujourd’hui) et ne comptât point de ces réseaux autoroutiers ni de rocade. Je suivis donc une route que je pris pour la Nationale, partant vers le sud recherché. Au bout de dix minutes cependant, ce que je lisais dans le paysage ne collait plus du tout avec ce que ma carte me commandait d’interpréter. Aussi décidai-je de revenir à la case départ - sortie de Nantes - et d’identifier la belle nationale qui allait me conduire sans coup férir à La Roche sur Yon. Las, au bout de 10 nouvelles minutes, il me fallut m’avouer que cela ne collait décidément pas. Et en ce temps-là nous n’avions pas de radio et donc pas de contrôleur pour nous porter secours. L’initiative et notre propre jugement étaient notre unique recours: "aide toi et ne compte que sur toi !"
Comme les catastrophes n’arrivent jamais seules, un énorme grain venu de l’ouest vint impérialement à ma rencontre et se mit à me noyer sous un déluge de pluie dont l’ouest a le secret… Le Stampe est un avion que l’on pilote la tête à l’air libre, par voie de conséquence je n’y voyais plus guère et descendis pour "coller" le plus possible à "ma" route (c’était le cas de le dire) la suivant dans ses montées, descentes et virages… jusqu’au moment où, cap approximativement au sud, je sortis du grain pour retrouver une bonne visibilité… avant de devoir bientôt reconnaître que j’étais perdu.
Apercevant un village, l’idée me vint d’aller lire son nom sur le panneau réservé aux automobilistes! Me voilà lancé dans un piqué audacieux, tandis que les yeux grands ouverts je m’efforçais – en vain – de déchiffrer le nom. J’avais dû ne pas descendre assez bas, ne pas m’approcher assez près. La deuxième fois non plus! Jamais deux sans trois. Cette fois j’allais pouvoir lire, je le voulais! Montée, virage, ligne droite, virage, piqué, piqué, le panneau qui grossit…Victoire! J’ai le nom, j’ai gagné! Je me mets tranquillement en orbite au-dessus du village en question – il faut calmer les émotions trop fortes – et cherche sur la carte Michelin l’emplacement de ce merveilleux endroit. Je découvre alors deux choses : La Roche sur Yon est tout à côté…Hourrah! et depuis Nantes, je suivais une départementale pleine de virages et non pas la belle nationale à trois voies rectilignes…
Quand j’arrivai enfin, il y avait de l’inquiétude dans l’air. Michel, le premier parti n’était pas encore là… On s’apprêtait à déclencher les recherches lorsque le son sympathique du moteur Renault équipant le Stampe fit lever le nez et le regard de tous… Oui,oui, c’était bien lui. Mais qu’avait-il donc bien pu fabriquer ? Parfois un peu distrait, il avait oublié de "recaler" son conservateur de cap et c’est ainsi que peu à peu au lieu de faire route au Sud, il avait dérivé à l’Est vers les collines du Limousin. Perdu, il avait cherché l’erreu : mais oui, mais c’est bien sûr! et en bon marin, s’était tourné vers la mer, cap à l’Ouest pour se recaler sur la côte. Ce qu’il fit aux Sables d’Olonne, sur la côte de Vendée, non loin de La Roche sur Yon. Quand je vous parlais d’initiative et de jugement!
A l’heure du Muscadet et du pot en notre honneur offert par l’aéroclub, nous étions tous là, les "vingt" (dont beaucoup se retrouvèrent quelques années plus tard dans l’aéronavale), les trois moniteurs, les trois mécanos et bien sûr notre souriant et optimiste Commandant.
Le lendemain, l’un de nous eut la mauvaise surprise de voir son moteur s’arrêter et dut se poser en rase-campagne. Son avion termina sa course sur le dos dans un petit étang très peu profond ; lorsqu’il déboucla son harnais, il y tomba sans mal : le pire pour lui était à venir, il dut faire face à une commission d’enquête. Tout accident exige une telle procédure dont la recherche du facteur humain déclenchant (indiscipline, erreur, faute) fait partie. La dite commission s’obstina pendant deux jours à lui faire avouer une faute… qu’il n’avait pas commise ; la vérité finit par sortir du puits (une impureté dans l’essence avait bouché le carburateur) et l’avion intact pu redécoller du même champ aux mains d’un pilote chevronné.

"Le" Stampe à Quibron
Deux jours plus tard, les "dix neuf" étaient de retour dans la presqu’île, indemnes et la tête pleine d’excellents souvenirs. Pour quelques uns d’entre nous, la suite se termina quelques années plus tard en tragédie, mais ceci est une autre histoire.

Goz Beïda, le 28juin de 2002

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