Tir au but… cible abattue ! (1971)

En ce mois de février 1971, la Flottille 14F où j’étais chef du service "Opérations" était une fois encore stationnée sur la base aéronavale de Nîmes-Garons. C’était l’époque où, fort de toutes les qualifications possibles sur Crusader (confirmé jour et nuit à l’appontage, carte verte* avec les minima météo en plafond et en visibilité attribués à son détenteur, tir de missiles Air/Air Matra 530 et Sideminder et chef de patrouille), j’étais en plus " leader" de la section de deux avions en charge de la présentation en vol lors des diverses manifestations aériennes. En quatre ans à peine sur Crusader, j’avais déjà effectué 1000 heures sur l’avion dont 200 de nuit. L’année précédente j’avais été chef de service sur la Jeanne d’Arc et l’avenir m’était ouvert à 30 ans à peine… ou 30 ans déjà.

J’avais bien, pour diverses raisons, songé à quitter mes chers avions pour ceux beaucoup plus gros d’Air France mais je n'avais pas dépassé, dans les dédales de notre compagnie très nationale, le premier barrage en la personne d’une blonde secrétaire qui décréta qu’on n’avait pas besoin de moi. J’avais aussi songé à partir pour l’Australie, en recherche à cette époque d’immigrants venus de la blanche Europe et de pilotes avec un bon bagage. Soazic, déjà elle, était prête à aller voir comment l’on vit la tête en bas. Mais rien de cela ne se fit et la vie de flottille continua.

A cette époque, l’amiral commandant l’aviation embarquée avait une véritable aversion pour le Crouze. Cet officier au passé glorieux et au physique de condottiere, avait aussi un côté "écolo" qui se traduisit par l’ordre de faire expérimenter par deux pilotes le décollage systématique sans post-combustion, à seule fin de diminuer les nuisances sonores, de jour comme de nuit, même à Hyères où la piste était ultra courte. Je fus désigné comme l’un des deux. Vous avez dit "Sécurité des vols"? Vous connaissez beaucoup de pilotes qui décollent avec seulement un moteur sur deux ou avec la moitié de la puissance?

Bien sûr à Hyères, en fonction de la température, il fallait calculer la quantité de carburant qu’il était possible d’emporter pour que la longueur réduite de la piste permette tout de même le décollage. Ainsi fut fait... Le Crouze m’aimait bien, j’avais en lui une confiance qui ne s’est jamais avérée excessive et il ne m’a jamais "lâché". A Hyères, une fois atteinte la vitesse de décollage, nous nous amusions – l’avion et moi – à rester collés à la piste jusqu’à l’extrémité, histoire de donner quelques sueurs froides aux contrôleurs, au commandant de la base, au chef des Opérations… dont les bureaux donnaient sur la piste. Agaceries ou gamineries de pilote, dont je garde un excellent souvenir...


Or donc, en ce mois de février, la 14F devait tirer (en vue de l’abattre) sur des avions cibles CT 20 lancés de l’île du Levant près de Hyères armés avec des obus inertes de 20 m/m. Le Crusader, quant à lui, était équipé de quatre canons placés deux par deux, l’un au dessus de l’autre, dans le fuselage de part et d’autre du cockpit. En entrainement nous n’armions que deux canons, un de chaque bord.

Pour ce type de vol, l’avion-cible évoluait entre 5000 et 10000 pieds, soit 1500 et 3000 mètres d’altitude, sur un axe qu’il parcourait dans les deux sens jusqu'à’ épuisement de son carburant, sauf s’il avait été abattu avant. Sa taille réduite en faisait une cible malaisée à atteindre. Pour ce faire, nous venions pas section de deux avions, avec un écart suffisant dans la noria de tir pour que l’un annonce fin de passe ("out" dans le jargon) quand l’autre annonçait "in" (c’est à dire début de passe), le point de départ se situant à une altitude d’environ 3000 pieds supérieure à celle de la cible et sur l’avant de son travers.

Depuis deux jours, les meilleurs s’y étaient déjà essayés… en vain. L’avion-cible n’avait jamais été abattu et retombait, carburant épuisé, au bout d’un parachute. Je partis à mon tour avec, comme équipier, un jeune pilote sur la progression de qui je veillais ; il avait un sens inné de la cinématique relative et il était réceptif à mes idées sur le vol en général et sur la chasse tout temps en particuliers. Fort de mon score en tir canon air/air sur panneau remorqué de la campagne de tirs du mois d’août (soit en toute modestie: deuxième en pourcentage, premier en régularité) et de l’enseignement tiré de la lecture des récits de chasse de la deuxième guerre mondiale, je partis décidé à faire - une fois n’est pas coutume - ce qui était interdit: j’arrivai donc pour une première passe de tir, plein arrière et en dessous de la cible que j’alignai dans le viseur et, à la distance voulue, j’appuyai sur la détente. Les obus avec traceurs me donnaient une idée précise de leur trajectoire. Bien sûr la durée de tir se mesure en secondes, trois, peut-être quatre, et lors de la première passe, je ne corrigeai pas assez et je vis la rafale d’obus passer juste en dessous de la cible.

"Leader, deuxième passe, in": j'engage de nouveau l’avion dans la trajectoire me conduisant une fois encore plein arrière, en dessous, en montée. Complètement concentré sur l’objectif, les boutons d’armement sur "on", sélecteur sur "canons"… Dans le viseur, le court empennage de l’avion-cible grossit et lorsqu’il parvient à la taille requise pour débuter un tir efficace, j’appuie sur la détente. Les premiers obus avec traceur passent encore en dessous. J’augmente avec souplesse le cabré de l’avion, je vois alors les obus frapper le ventre de la cible et… le carburant qui s’en échappe! Fin de tir, plein gaz, "Leader out, tir au but observé" annonçai-je, en virage serré à droite et en montant. Tout cela n’avait duré que deux ou trois secondes, autant dire deux ou trois siècles tant il est vrai que leur intensité provoque une dilatation du temps. Mon équipier eut le temps d’effectuer une deuxième passe avant que le contrôleur du centre d’essais de Méditerranée nous annonce: "arrêt moteur, perte de contrôle de la cible" puis " cible abattue".

En rentrant à Nîmes, 30 minutes plus tard, je jubilais… Il n’était que de voir la tête des autres pour comprendre que nous venions de faire des jaloux. Et c’est là un petit plaisir qui ne coûte pas cher et ne fait finalement de mal à personne. Fidèle jusqu’à aujourd’hui au précepte "n’avoue jamais!" la façon dont je m’y étais pris resta un secret, tout comme le rôle des lectures de récits de guerre parmi lesquels "Le grand Cirque" de Pierre Clostermann et "Jusqu’au bout sur nos Messerschmitt" du général Galland

Goz Beïda le 11 juillet 2002

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*Carte verte : cette carte concrétisait à l’issue d’un stage d’une semaine dans un escadron spécialisé de l’Armée de l’Air et un vol de contrôle effectué sous capot, donc sans rien voir à l’extérieur, l’aptitude d’un pilote à voler avec précision à l’aide des seuls instruments de bord. Selon le niveau (carte blanche ou carte verte) le pilote était autorisé à voler par des conditions de visibilité et de plafond plus ou moins réduites appelées les "minima-pilotes".

Coup de chaleur (1964)

C’était en juin 1964. J’étais affecté en flottille pré-opérationnelle, la 15F, armée d'Étendard IV M.


Étendard IV M à l’appontage


Quelques mois plus tôt, la décision de me "virer" en même temps que plusieurs autres jeunes pilotes avait été prise. Après une progression initiale effectuée au sein de l’Armée de l’ Air, nous étions alors en stage à l’escadrille ayant, entre autres choses, la charge de notre "navalisation". Fort d’une qualification à l’appontage sur Fouga zéphir* qui m’avait valu quelques félicitations publiques et d’une progression sur Mystère IV A plutôt bonne, je m’étais battu pour convaincre le commandement de l’erreur qu’il faisait et j’avais convaincu...

Fouga zéphir

C’est que le parcours d’un jeune pilote est une longue course d’obstacles qui ne sont pas tous techniques et qu’il faut beaucoup de détermination pour les franchir quand ils se présentent. Quand le reproche formulé (ou le prétexte invoqué) me fut exposé, à savoir d’être "un loup solitaire alors que dans l’aviation embarquée les loups vivent en meute", eh bien la seule chose que je trouvai alors à faire fut de retrousser les babines pour montrer les crocs. Et cela avait marché !

J’avais déjà eu le coup de foudre pour le Crouze - un rêve inaccessible pour un jeune pilote - et la 15F était encadrée par des officiers dont la conversation tournait ostensiblement autour de la façon de virer les pilotes stagiaires. Bonjour l’ambiance! Heureusement, les deux officiers mariniers moniteurs étaient dans une état d’esprit radicalement différent. L’un, toujours impeccable et parfaitement coiffé, était d’une exquise courtoisie et d’une adresse en vol exceptionnelle – il présentait l’avion en voltige à (très) basse altitude lors des manifestations aériennes. L’autre, homme simple, au meilleur sens de ce terme, et plaisant, Breton du Finistère, attentif à faire passer son savoir à la génération montante, était auréolé du titre de héros de Hyères pour avoir retardé son éjection jusqu’à la dernière seconde à la suite d’une panne-réacteur au décollage. Il avait ainsi évité que la machine ne se fracasse sur un hôpital pour enfants malades se trouvant dans l’axe de la piste! C’était l’époque où la presse ironisait sur les malheurs du tout nouveau fer de lance de la Marine, rebaptisé pour la circonstance "Kamikaze IV M" à cause de son taux d’accident. Mais pour les stagiaires que nous étions, armés d’une motivation inoxydable, ce n’était pas l’avion que nous craignions mais l’engeance "monitariale" comme nous l’appelions entre nous...

Cet après-midi-là, je devais effectuer en tête un vol d’assaut à très basse altitude avec plusieurs objectifs à trouver en Haute Provence, dans les Alpes et dans les Cévennes. Mon instructeur était justement notre héros préféré. Au ras du sol, le paysage défile vite et je ne disposais, comme moyens fiables pour naviguer, que du compas, de l’indicateur de vitesse et de la carte bien sûr. Un œil dehors pour éviter tout ce qui vole et tout ce qui traine, comme les lignes électriques à haute tension par exemple, un œil dedans pour pour lire la carte et contrôler les instruments moteurs et de vol.

Décollage à 13h30 par 35° à l’ombre sous le ciel de Provence. A peine décollé, je compris que la climatisation était bloquée sur… plein chaud, avarie bien connue mais que je n’osai annoncer: j’entendais déjà le responsable des vols "si vous n’avez pas envie de voler, etc. etc." En effet, au cours de deux missions précédentes, je n'avais pas effectué le vol car à la mise "plein gaz sur frein" avant décollage, j'avais signalé que les paramètres moteur n'étaient pas bons. Le chef du service 'Vols' m'avait alors clairement fait comprendre que, pour un pilote-stagiaire, je n'étais pas vraiment motivé... Tout plutôt que cela! Et je me tins coi. A 700 km/h, au ras des collines, montagnes, lignes à haute tension, il me fallait "tenir" et surtout ne rien dire. Le mélangeur d’oxygène avec l’air cabine était depuis longtemps sur la position "oxygène 100%". Alors qu’une heure de ce régime me conduisait peu à peu au bord de l’évanouissement, je trouvai cependant l’un après l’autre tous les objectifs .

Quand la fin du vol arriva, il fallut entrer dans le circuit d’atterrissage. Cela se faisait en arrivant du nord par un passage à la verticale de la base, suivi d'un éloignement en descente avant de se présenter dans l’axe de la piste et de breaker** (pour "casser" la vitesse) par un virage serré de 180 degrés jusqu’à la branche, vent arrière, train, volets, parachute armé.*** Pas de chance: à l’heure du poser, la piste en service, face à l’est, obligeait à effectuer une présentation par virage à droite pour ne pas survoler la ville alors que comme la plupart des chasseurs je préférais (et préfère encore) la présentation finale par virage à gauche, plus "naturelle" quand on tient le manche de la main droite. Je voyais trouble, j’étais détrempé mais ne disais toujours rien. La piste est courte à Hyères et il faut se poser de façon précise, en vitesse et en tout début de bande, ce que je réussis à faire.

Après avoir dégagé la piste, j’annonçai enfin mes ennuis car, avec ce genre de panne, il est impossible pour le pilote d’ouvrir la verrière de l’intérieur! Arrivé à l’aire de stationnement, le supplice dura encore plusieurs minutes. Enfin je fus libéré. Je restai assis immobile pendant une demi-heure quand j’eus enfin l’idée de prendre mon pouls: 180 pulsations/minute! Je n’ai jamais su à combien avait battu mon cœur en vol… 200, 220? Mon chef de patrouille fut bien étonné… et probablement inquiet a posteriori. Mais du côté des responsables de la sécurité des vols il n’y eut aucune réaction, ni visite au médecin du personnel navigant, ni fiche d’incident… Je compris alors pourquoi, lors de la visite d’admission, les médecins avaient été si regardants sur le système cardiaque!

C’est ainsi que je pris peu à peu conscience de ce que sécurité - ou insécurité - pouvait signifier. Ceci s’ajoutait à la liste d’observations que j’avais déjà faites. Je me suis peu à peu forgé une philosophie de la sécurité des vols avec l’enseignement reçu d’autres ainés: question de mission et d’environnement peut-être? La mission de chasse tout temps, de jour et de nuit par météo souvent difficile à la pointe du Finistère, est une école de rigueur et de discipline. C’est pour cela peut être que je suis toujours rentré au terrain avec mes équipiers… et grâce aussi à beaucoup de chance, sans laquelle rien n‘est possible.

Au cours des trois années où j’officiais en Flottille comme second puis les deux années suivantes comme commandant, la Flottille eut le bonheur de ne jamais perdre un avion.

Merci la chance.

Goz Beïda le 11 juillet 2002


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* Fouga Zephir : avion école dérivé du Fouga Magister et équipé de deux moteurs Marboré 4 moins puissants, d'une crosse et d'un train d'atterrissage renforcé pour l'appontage.

** Breaker : mot de franglais. Pendant la guerre, avec l'activité intense de nombreux avions, il était nécessaire pour accélérer le mouvement de les présenter en patrouilles de 2, 4 ou plus, arrivant à la bonne vitesse sur l'axe d'atterrissage. Travers piste, les avions entament un virage serré en réduisant le régime-moteur pour "casser" la vitesse (break en anglais) jusqu'à celle de la configuration d'atterrissage. Cette procédure est toujours en usage lorsque la météo le permet.

*** Parachute armé : Les Étendards étaient équipés d'un parachute de queue dont l'emploi permettait de freiner l'avion en cas d'interruption du décollage ou d'atterrissage sur piste courte. Une commande permettait d'armer le système de déploiement ou de le désarmer le reste du vol.

Un moment d’intense bonheur: la tentation (1964)

C’était un des derniers jours de juillet 1964. Le stage sur Mystère IV touchait à sa fin. Pour moi tout avait bien marché. J’allais être breveté "châsse" sur la base aérienne où mon père avait été mobilisé et où, peu avant Noël 1939, il avait connu un grave accident. C’était arrivé à l’atterrissage, m’a-t-on dit, par un jour de brouillard dense et cela mit une fin dramatique à sa carrière de pilote. Il n'en était pas mort mais c'est ainsi que la guerre, l'ayant grièvement blessé, le sépara pour toujours de sa famille. Quelques jours plus tard je venais au monde.


Était-ce un vendredi? Je le crois, et puis le vendredi est un jour souriant. Ma mission était simple, je partais seul pour un vol de voltige. L’axe était matérialisé par la superbe ligne droite d’une route nationale située au sud de la Loire et orientée nord/sud, à mi-distance de Tours et de Saumur. Tout compris, le vol devait durer un peu moins d’une heure. Le temps était au beau fixe, le ciel était d’azur, la visibilité excellente. Je reconnus bien vite la route qui allait me servir d’axe au dessus de laquelle j’allais trente minutes durant enchaîner boucles, tonneaux, huit cubains*, rétablissements, cabrés à 60°d’inclinaison, demi-tonneaux et piqués, tout cela entre 10 000 et 20 000 pieds ou, si l’on préfère le système métrique, entre 3000 et 6000 mètres d’altitude.

Le Mystère IV A

Beaucoup de "G" c’est à dire d’accélérations tête-jambes, quelques débuts de voile noir** que traduit le rétrécissement du champ visuel, l’oxygène en débit à 100% pour être au maximum de mes moyens, c’est aussi tout cela une séance de voltige. Tout ce qu’un "chasseur", si jeune soit-il, aime!

Je terminai par un ultime rétablissement: cela s’effectue au sommet d’une boucle, la tête en bas et l’avion à vitesse relativement basse, il faut exécuter un demi-tonneau en pilotant au pied et au manche de façon bien coordonnée, en ayant bien conscience que l’on vole sur un avion à aile en flèche. De la cabine de pilotage, sur Mystère IV A , on a beau tourner la tête on ne voit pas les ailes. Cela procure une étrange sensation aux jeunes pilotes qui n'ont volé que sur des avions à ailes droites: l'impression d'être lancé dans l'espace dans une bulle de plexiglass.

A 20 000 pieds, je me mis en virage vers la base et en profitai pour contempler de là-haut la campagne tourangelle, le cours majestueux de la Loire, moitié eau moitié sable, Saumur pas bien loin avec son île… Je me dis alors que jamais de ma vie je ne pourrai être plus heureux que je ne l’étais à cet instant, après trente minutes aussi intenses.


Je ne sais s’il est arrivé à d’autres d'avoir l'esprit traversé par une telle tentation ou par la pensée d’une telle tentation… C’était tellement simple à exécuter. Il suffisait de repartir en une ultime série de voltige et, au moment où l’avion se trouve à la verticale, en piqué de la dernière boucle du dernier huit cubain… oublier de redresser. Tentation de l’autodestruction, faisant fi de toute autre considération. Tentation ou bien plutôt émanation d’un romantisme mortifère ?

A 24 ans il est permis d’être romantique mais il y a des limites et mon ange gardien me souffla que c’était là bien folle pensée dénuée de tout fondement. De tels moments de bonheur, il m’en promettait beaucoup, beaucoup d’autres. Je ne demandai qu'à le croire, bien sûr, et la suite montra qu’il avait bien raison.

Je mis le cap vers Tours et entamai bientôt une descente à vue en effectuant, une fois par la gauche, une fois par la droite, des tonneaux barriqués. Cette figure permet de faire tourner l’avion autour d’un axe avec un angle de plus de 30 degrés en maintenant un facteur de charge constant de 1 G: la tête en bas, le pilote reste parfaitement assis sans pendre dans les bretelles… comme s'il se trouvait dans son salon. Ce fut bientôt l’arrivée au point initial pour entrer dans le circuit d'atterrissage. La routine du retour en somme.

Quelques jours plus tard, je recevais avec un plaisir immense mon "macaron" de pilote militaire breveté, certifié "Châsse". Le roi était mon cousin! Quant à mon père, que je n’avais vu qu’une fois en 24 ans... il n’était pas là.


Le Macaron des chasseurs de l'Aéronavale
"l’étoile pour te guider, les ailes pour te porter,
l’ancre pour t’amarrer et la couronne pour te dire adieu"


Goz Beïda le 7 juillet 2OO2

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* huit cubain : une figure de quatre boucles enchainées où le pilote, au moment où l'avion est vertical , en montée ou en descente à son choix, fait faire une rotation de 90 degrés à sa machine. La figure se termine par un rétablissement.

** voile noir : si le facteur de charge est trop fort - variable avec la forme physique du pilote - le sang arrive difficilement à la tête, le cerveau est de moins en moins irrigué, le champ visuel rétrécit et finit par se fermer: c'est le voile noir!

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En Bonus: une vidéo de voltige sur Myster IV de 1961, cliquez ICI

Percée à hauts risques

En ce début du mois de décembre 1975, je commandais la Flottille 12 F. Les officiers d’active volontaires pour le Crouze, où 25% des vols étaient effectués de nuit, s’étaient faits rares, force était de le constater. Pour trois que l’on trouvait à la 12 F, il y en avait douze à la Flottille 11 F, armée d I’Etendard IV dont les missions n’étaient exécutables que de jour. Pour eux, le vol de nuit était secondaire, se réduisant au minimum requis pour un départ en mission à l’aube ou un retour au crépuscule. Évidemment à la "onze", quand la formation était à Landivisiau, le "dégagé" était normalement celui de la base, c’est à dire à 16h45. A la douze, c’était plutôt 1 heure du matin. Demandez aux épouses, compagnes et enfants ce qu’ils en pensaient….

Les fonctions d’officier d’armement, des vols et de sécurité étaient tenues par des officiers mariniers, tous pilotes expérimentés et chefs de patrouille (ce qui fut formateur puisqu’ils devinrent tous officiers par la suite). Pour les jeunes officiers d’active, la situation pouvait devenir difficile ou intenable lorsqu’ils avaient des difficultés de progression en vol. L’homme étant ce qu’il est, aime à établir un rapport de forces dès lors qu’il est dominant. Et la rivalité officier/officier marinier était une réalité dont je n’ignorais rien

Nous étions à Nîmes en cette fin d’automne. Le plus jeune des officiers connaissait quelques problèmes, ce qui survient toujours ou presque au cours d’une progression. Pour ce vol de nuit, j’avais décidé de voler avec lui, histoire de le mettre à l’aise car nos relations étaient excellentes. J’appréciais l’officier et l’homme, il fallait aider le pilote.

Plafond 3000 pieds. Une couche turbulente jusqu’à 15000 et beau au-dessus. C’est ce que disait la météo et c’était exact. A priori un vol simple.


(source photo: ici)

Décollage individuel à 30 secondes d’intervalle, montée en suivant au radar puis rassemblement à 20000 pieds. Las…je tombai en panne radio. Il me restait la fréquence "Garde" que veillent tous les avions et les tous les organismes de contrôle aérien, qu’ils soient civils ou militaires. Mais là encore, je ne pouvais recevoir que les émissions proches. Le n°2 me rassembla, je lui annonçai sur "Garde" mes ennuis, lui dit de prendre la tête pour percer aux ordres de l’approche et me ramener au terrain, moi même en formation serrée sur lui. Rien de bien compliqué mais cela tombait mal. Lorsque je me plaçai en formation serrée, je le sentis tout de suite nerveux aux commandes.

A Nîmes, lorsqu’on est au nord et à plus de 20 milles nautiques, il y a une altitude de sécurité en dessous de laquelle il ne faut pas descendre car… le massif des Cévennes se trouve là et le Mont Aigoual culmine à 7000 pieds. La percée commença. A 15000 pieds, en entrant dans la couche de nuages denses et très obscurs, je dus "m’accrocher" pour ne pas perdre mon leader, plutôt nerveux. Quand on est jeune équipier, on n'aime pas être en tête, alors de nuit, dans les nuages, avec un leader en panne, cela rend nerveux et c'est normal.

Le Mont Aigoual

J’étais à sa gauche, le virage à 12000 pieds s'effectuait par la droite et je ne pouvais contrôler la trajectoire suivie en regardant le cadran du Tacan (l’instrument qui donne azimut et distance d’une balise): en effet, le cadran se trouvait à gauche du tableau de bord et il n’était pas question de quitter des yeux celui que je suivais. Les nuages étaient turbulents, il fallut m’accrocher… grave!

Nous sortîmes du virage à 8000 pieds, toujours en descente, le contrôle de la percée, dirigée depuis le sol, s’effectuant sur une fréquence que je ne pouvais recevoir. Profitant de la ligne droite de sortie de virage, un coup d’œil rapide au cadran du Tacan me fit découvrir que nous n’étions pas à 15 nautiques dans l’axe de la piste et à l’est du terrain, c’est à dire au dessus de la plaine de la Crau, comme cela aurait dû être à cette altitude, mais à 50 nautiques dans le nord, au-dessus du Massif Central... horreur et damnation! Le contrôleur s’était sans le moindre doute trompé d’écho sur son radar… genre d'erreur bien connu qui avait déjà coûté quatre Mirage et la vie de quatre pilotes de l’Armée de l’Air, deux en Corse et deux à Dijon. Mon leader d’infortune ne l’avait pas compris. M’efforçant au calme, sur fréquence "Garde" je dis:

-"Bleu 2 de Bleu leader, arrêtez la descente "
Rien ne se passa!

-"Bleu 2 rentrez les aérofreins, arrêtez la descente "
7000 pieds ! Rien …

-"Deux de leader, j’ouvre à gauche et je remonte au-dessus de la couche, plein gaz pour vous et remontez à ce cap, on se retrouve au-dessus."

Tout le Sud Est de la France entendit cela y compris le contrôle de Nîmes… Bleu deux, enfin seul, exécuta mes ordres. Nous nous sommes retrouvés au-dessus de la couche, je le rassemblai, lui expliquai brièvement qu’il y avait eu confusion d’écho. "Nîmes approche" nous reprit en compte. Mais la voix du contrôleur n’était plus la même, me dit-on plus tard. Je redonnai à Bleu 2 la tête de la section. Quinze minutes plus tard nous étions posés.

Mon jeune équipier vint me voir le lendemain et me demanda d’arrêter de voler. Il était arrivé au bout du rouleau bien que je ne lui eusse fait aucun reproche. Je m’attelai à comprendre pourquoi il était mal à l’aise sur Crouze. Je découvris dans son livret que ses progressions sur Fouga, Etendard, Mystère IV étaient bonnes – tous avions français – mais pas sur T33 ni sur F8E… américains. Question d’ergonomie sans doute. J’obtins qu’il passe sur Etendard IV P avec un P comme Photo, dans une flottille de reconnaissance qui ne comptait que des officiers et ne volait pas souvent la nuit.

Le contrôleur ne contrôla plus jamais ; il n’était pas fait pour ce métier, ce qui peut arriver mais doit être compris avant une tragédie. Son chef d’équipe en était conscient mais était absent cette nuit-là. Dix sept ans plus tard, alors que je m’apprêtais à quitter le commandement de la base aéronavale de Landivisiau, un major contrôleur nouvellement affecté demanda à me voir. C’était cet ancien chef d’équipe que cette vieille histoire pourtant bien terminée tracassait encore après tout ce temps… Alors nous en avons parlé parce que parler est une excellente thérapie. En aéronautique, il est impossible de mentir et de se mentir. Mais il est sain de convenir que l’erreur est toujours possible et qu’il n’y a que ceux qui ne font rien à qui il n’arrive jamais d’en faire.


Goz Beïda, le 6 juillet 2002