"Missile parti" (…) "Cible détruite!" (1967)

Ceci se passa un jour de l’hiver 1967. HLP commandait la Flottille 12F, basée à Lorient. Les avions occupaient l’aire de Kerambras sur la base aéronavale de Lann Bihoué. MD était l’officier en second. Nous avions déjà une longue histoire commune. A Salon de Provence, il commandait l’escadron de FOUGA Magister où j’effectuais ma progression et lors du premier saut en parachute de la promotion d’enseignes de vaisseau, il avait été le premier à sortir du DC3 qui nous larguait.

(source: photo collection Amiral Le Pichon)

J’étais encore enseigne de vaisseau et bénéficiais de la confiance du commandant: officier d’armement de la flottille, à ce titre j’avais la charge, entre autres choses, d’instruire l’ensemble des pilotes sur les systèmes complexes qu’ils mettaient en œuvre. En raison de l’acharnement que je mettais à instruire, d’aucuns m’avaient surnommé "l’instituteur"… Quant au pacha, spécialiste du Matra 530 à guidage électromagnétique ou infrarouge, il était bien sûr incollable.

Nous avions deux missiles à tirer sur cible téléguidée CT20 et le pacha décida que je serai le premier à tirer. Chasseur tout temps et sous-chef de patrouille, titulaire de la "carte verte" délivrée par l’escadron spécialisé dans le vol aux instruments de l’Armée de l’Air après de sévères examens en vol et au sol, j’étais autorisé à voler par les minima météo les plus bas. Cependant mon avancement ne suivait pas ma progression opérationnelle. Déjà mes camarades de la Pat Mar (dont certains avaient tenté la chasse sans y parvenir) et ceux restés sur Étendard (quoiqu'encore équipiers) avaient été promus lieutenants de vaisseau. C’est peut-être pour cette raison que le "pacha" cherchait à affirmer par d’autres moyens mon autorité: "petit jeune" sur Crouze , j’étais considéré comme un élément porteur d’avenir…

La neige était là depuis quelques jours et c’est avec des méthodes de Prussiens* et par un froid sibérien que le service armement dut mettre en œuvre, après en avoir assemblé les différentes parties, ces missiles qui, lancés de plus de 15 kms, pouvaient détruire un avion volant à une vitesse supérieure à celle du son.

" - Neige au sol, ciel bleu, les lascars rouges aux avions."

Leader: votre serviteur; n°2: MD. Décollage, rassemblement, montée vers 30 000 pieds, cap au sud-est ; survol du golfe de Gascogne, puis descente travers Bordeaux, prise de contrôle par le centre d’essais des Landes. Tout cela avec un minimum de mots. Je pilotais mon système d’armes comme à l’habitude - nous volions en routine avec des maquettes de missiles - mais cette fois il faudrait appuyer sur la détente… et réussir le tir. Je stabilisai à 14 000 pieds quand on m’annonça le départ de l’avion-cible en montée rapide vers 20 000. J’annonçai bientôt un contact radar à 18 nautiques, 30 degrés gauche ; le contrôleur au sol me confirma que c’était bien la cible. A 14 nautiques, soit 26 kms, je "verrouillai" le radar de bord sur la cible et annonçai "Judy" (traduire: je prends le contrôle de la "passe" à mon compte).

"- Roger lascar rouge." J’avais bien sûr préparé le missile et mis en route le système de refroidissement à oxygène liquide de la tête infrarouge. A 8 nautiques soit 15 kms, le signal sonore "tête de missile verrouillée" et l’indication de gisement cohérente avec l’indication du radar me firent annoncer "engin verrouillé, paré." Entre temps il avait fallu prendre en compte la cinématique de l’avion et de la cible dans les trois dimensions… ajuster vitesse, taux de virage et taux de montée. J’avais choisi de tirer de plus bas. Lorsque la lampe"entrée de domaine de tir" s’alluma, j’attendis encore quelques secondes puis appuyai sur la détente tout en virant sur la gauche en annonçant "missile parti".

Le missile était sur le côté droit et la traînée se détachait en blanc sur le bleu profond du ciel. Je le suivis des yeux quelques secondes encore et tout à coup une boule de feu apparut dans le ciel. En écho à mon "missile parti" j’entendis alors le contrôleur annoncer "cible détruite".

Comme je ne suis jamais lyrique lorsque je suis en vol, j’annonçai :

" - Lascar rouge en virage par la gauche, mise de cap sur Lann Bihoué. Autorisation de monter vers le niveau 350. Rouge Deux, pétrole."

Mais Rouge Deux, lui, était - il l’est encore - un enthousiaste et répondit :

« - Rouge Leader, vous avez une victoire aérienne! Vous pouvez faire un tonneau !! »

Je n’y avais pas pensé. Je fis donc un tonneau (!) et entamai la montée vers le niveau 350…

"Rouge Deux" devenu "Rouge Leader" le lendemain pour le tir du deuxième missile - mais je n’étais pas l’accompagnateur - eut à effectuer un tir beaucoup plus "pointu" aux limites des possibilités du système d’armes: il s’agissait de celui d’un missile à guidage électro-magnétique semi-actif (c’est à dire que la cible est "éclairée" par le radar de l’avion et les ondes réfléchies captées par un récepteur du missile qui intègre les données et élabore des corrections de trajectoire) à très basse altitude en face à face: une sorte "d’Agrég’" en matière de tir de missile à l’époque...

Goz Béïda, le 24 juin 2002.

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* "Mon cher G….. , en matière d’armement, toutes les conneries sont possibles. C’est pourquoi vous devez être "prussien" avec vos hommes… " disait HLP

Premier monoplace ou l’envol de l’épervier (1964)

Le monoplace, comme son nom l’indique, est un avion où une seule personne peut prendre place, un pilote bien sûr. La prise de conscience véritable de la situation a lieu au moment où, l’avion aligné sur la piste, le pilote affiche plein gaz pour un ultime contrôle des voyants et autres instruments avant de lâcher les freins et commencer la course de décollage.

Pendant plusieurs décennies, il y eut deux catégories de pilotes: les pilotes de monoplace… et la kyrielle des autres. Dans les Armées, c’est à dire la Marine et l’Armée de l’Air, le pilote de monoplace avait vocation à être pilote de chasse. Depuis Guynemer et le Baron Rouge, c’était ainsi. Les "grands monoplaces" se sont appelés Fokker, Spad, Dewoitine 520, Messerschmitt 109, Fockwulf Long-Nez, Yak, Spitfire, Zéro, sans oublier quelques prestigieux américains: Lim Temco Vought Corsair et Simoun, pour l’aviation à hélice.



Puis vint l’ère des réacteurs: le premier d’entre eux, le Messerschmitt 230 de la fin de la deuxième guerre mondiale puis le Vampire, britannique, l’Ouragan puis le Mystère IV avec les premières ailes en flèche, le Crusader aussi, bien sûr. Avec le temps les choses ont changé. Il y a eu d’abord les simulateurs de vol puis de plus en plus souvent des versions biplaces (comme le Stampe) pour les Mirage par exemple ou les Rafale. Le Super-Etendard est sans doute le dernier monoplace sans version biplaces.

En 1964, à l’issue de la progression suivie avec succès à Tours sur T.33 (T.Bird), avion d’entraînement à réaction, mono-réacteur et biplaces (pour le moniteur) sur lequel les stagiaires volaient parfois seuls, vint le moment du lâcher sur Mystère IV A, constructeur Marcel Dassault.



Cet avion, prestigieux, était très beau, très pur de dessin: monoplace, mono-réacteur, large entrée d’air à l’avant. Lorsqu'avec l’aide d’un chausse-pied - la cabine ou cockpit était très étroite - on avait pris place à bord, mis le casque et le masque à oxygène, branché « l’anti-G » (un pantalon-combinaison très spécial avec un « boudin » le long de l’artère fémorale et une poche sur le ventre qui se gonflent en proportion du facteur de charge pour empêcher le sang de descendre vers les pieds et ainsi préserver en partie le pilote du voile noir lorsque le cerveau n’est plus alimenté), serré le harnais et les « casse-rotules » (deux ou quatre boucles serrées autour des genoux comprenant un anneau dans lequel passe une sangle qui serre automatiquement les jambes contre le siège lors de l’éjection), le pilote faisait véritablement corps avec l’avion. Si l’on tentait de regarder vers l’arrière, impossible de voir les ailes: c’est cela les ailes en flèche. Pour ajouter à l’agrément, avant de refermer la verrière, le mécanicien ôtait les sécurités du siège éjectable. Sur ces avions, en cas de pépin, il n’y a qu’une façon d’en sortir: saisir la poignée haute (au-dessus de la tête) ou basse (entre les jambes), se tenir bien droit, ramener les jambes vers le corps et… tirer.

Mystères IV au repos

Le Mystère était un avion de combat: intercepteur, il dépassait tout juste en piqué la vitesse du son. Il équipait l’armée de l’air israélienne, et - avec quelques avions français - avait participé aux guerres israélo-arabes des années 50-60.

Il y avait bien sûr beaucoup d’excitation et de questions à se poser pour un jeune pilote, armé de 2OO heures de vol, avant le "lâcher" monoplace. Pour ma part, j’étais certes excité mais sans questions: beaucoup d’autres avant l’avaient fait. Pourquoi pas moi ?

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C’est pourquoi je garde à peine le souvenir de ce lâcher sur mon premier monoplace de combat, par une belle matinée de juillet. Cela fut naturel. Quelques jours plus tard, dans un piqué audacieux au-dessus de la mer entre l’île de Noirmoutier et la côte de Vendée, je brisai pour la première fois le mur du son. Pilotes d’avion monoplace, sorte de "bêtes de combat" à aile en flèche et transsonique, nous savions dans notre groupe que plusieurs parmi nous n’iraient pas jusqu’au bout de la progression: en quelques vols il fallait discerner ceux qui avaient l’étoffe du "chasseur", c’est à dire motivé, vif, accrocheur, précis…et tous ne l’avaient pas. Notre commandant d’escadron était un homme de 35-40 ans. Aimable comme une porte de prison avec les "élèves", il nous faisait remplir son carnet de vol. Et bien sûr, nous en profitions pour regarder ce qu’il avait fait et découvrir des tas de « missions de guerre » au-dessus du désert du Sinaï…. Son prestige était grand et qu’il daigne découvrir que l’on existait nous suffisait. Peu bavard, assez grand, brun, bronzé, costaud, en combinaison de vol, il donnait confiance. Un vrai "leader", pas un moniteur. Cela aussi nous le découvrions.

Lors d’une patrouille à 4 - le commandant n°1, un élève, un moniteur et moi - mon avion n’était pas prêt au moment du départ. Le commandant ne s’occupa pas de moi: les trois premiers mirent en route et commençaient à rouler quand j’arrivai enfin à l’avion… Faute de consigne, je fis le maximum pour aller vite, me "brêler" comme nous disions dans notre jargon, mettre en route et rouler sur les "taxiways" à bonne allure pour m’aligner sur la piste au moment où le troisième décollait. Je ne le compris que bien plus tard - au "débriefing" le commandant n’eut pas un mot à ce sujet - j’avais "bien" réagi. Quelques plumes ou duvets commençaient d’apparaître sur l’aile du jeune épervier.

Mais le mieux se produisit quelques jours après: j’étais prévu en vol à 14 heures avec notre "condottiere" pour un vol à deux, décollage en section (c’est à dire ensemble en formation serrée) chacun sur une demi-piste, montée en évolutions toujours en formation serrée avec changements de poste (gauche, droite), séparations et rassemblements et… poursuite entre 20 et 10 000 pieds. "Briefing" puis aux avions (en silence) et…c’est parti pour une heure de vol intense entre Tours et Blois, dans un ciel pur au-dessus d’une campagne verdoyante dans laquelle la Loire allongeait son cours. Tout se passait comme au briefing. Pas un mot sur la fréquence sauf pour annoncer le transfert du carburant et les changements d’exercice ; le dernier quart d’heure arriva: formation de poursuite à une distance entre 50 et 200 mètres.

"N°2 à poste." C’est alors que commença un moment de rêve avec le leader toujours dans le viseur, toujours légèrement décalé, en haut, en bas, sur le côté pour éviter le souffle… Les figures de voltige s’enchaînaient et au bout de 10 minutes, comme j’étais toujours là, nous entamâmes la descente vers Tours, moi toujours en poursuite. J’ai encore la vision de la Loire coulant mille pieds ou moins dessous, avec le leader "dans le viseur" partant en tonneau barriqué…et moi le suivant.

- "Toujours là n°2 ?

- Affirmatif leader."

Battement de plan, virage doux, je viens en formation serrée, retour au terrain. Dessous les copains sont là qui observent. Toute la journée nous observons les autres. Alors il faut s’accrocher, suer, mouiller, mieux encore, tremper la combinaison pour "tenir" la formation "serrée" jusqu’au "break".

En arrivant en salle de "débriefing", le commandant me dit: "Bon, rien à dire, ça vous a plu? Ah oui, apportez- moi votre fiche de progression." Lorsqu’il me la rendit, la case « section 9 » était peinte en bleu: pas rouge, pas rayée rouge, pas blanche, pas rayée bleu : bleu, vif, intégral. La veille, un camarade pour le même vol avait eu un carré rouge. Il devint pilote de patrouille maritime, eut pendant trente ans la "haine" des chasseurs*, fit une belle carrière et devint même sur le tard mon "supérieur" hiérarchique. Entre nous, il y avait toujours cette différence de couleur sur une fiche rédigée par un pilote de chasse un certain jour de juillet à Tours. Nous le savions tous les deux et je fus pour lui un subordonné pas toujours commode…

Lorsque quelques mois plus tard, de retour dans la Marine sur Fouga, il fut décidé de me "vider" de la chasse parce que… je n’étais pas "drôle", pas "comme les autres", trop "sérieux", je puisai dans le souvenir de ce vol et de la "reconnaissance" muette mais bien réelle du commandant du 5ème escadron de Tours, les ressources pour me battre. Différent, peut-être, vilain petit canard, sans doute ; mais les canards ne sont-ils pas les mieux placés pour reconnaître un épervier? ;)



Goz Beïda le 23 juin 2002.


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* "Châsseur" : le terme est resté prestigieux.

Dans la Marine, tout ce qui vole sur réacteur monoplace se dit chasseur. Les pilotes d’Etendard et de Super Etendard par exemple, toujours en paquets de 4, 8 ou davantage, le plus souvent au ras du sol, se prétendaient chasseurs, alors qu’ils sont pilotes d’assaut,. Ils professaient d'ailleurs parfois un mépris certain pour les pilotes de Crusader - "rien dans la tête" - dont ils croyaient connaître le métier alors qu’ils ne volaient pratiquement pas quand les poules étaient couchées. Le summum de la prétention était atteint par les pilotes de reconnaissance - Etendard IVP - qui se disaient "chasseurs intelligents" mais ne connaissaient que le vol rectiligne horizontal et, lorsqu’ils appuyaient sur la détente, se contentaient de prendre des photos.

Non, le chasseur c’est celui qui en deux minutes peut passer de l’immobilité au sol ou sur le pont d’un porte avions au vol supersonique à 40000 pieds, regarder le soleil en face, tournoyer à 3, 5, 7g pour garder le "visuel " sur son équipier ou son adversaire, plonger vers la mer ou le sol, l’œil rivé dans le collimateur, et dans la symphonie en bleu du ciel et de la mer, toujours savoir où est le haut et où est le bas - ah le reflet du soleil dans la mer qui peut vous piéger… - et de nuit exécuter une montée Post Combustion allumée en virage à 60°, l’œil dans le radar… et tout cela avec le minimum de mots. "Chasseurs tous temps, mes frères, écoutez, les chiens aboient… Passons."

L'envol du poussin (1962)

C’était un jour du mois de juin 1962. Nous étions à nos tables de travail, poste 91, premier étage du bâtiment "élèves" de l’École Navale, face à l’est. Jour de semaine, travail individuel. Je pensais pouvoir "sortir" de l’École Navale, même dans les derniers et j’espérais participer, au début des permissions d’été, à ce nous appelions la "corvette STAMPE" avec 19 de mes camarades, c’est à dire à un voyage circulaire d’une semaine en sept étapes au départ de la pointe de Bretagne via Dinard à l’est et Royan au sud. Mais pour cela, encore fallait-il être "lâché", c’est à dire pouvoir voler seul aux commandes d’un de ces avions. Mon ami Michel B, du même poste que moi, venait de réussir l’épreuve. Mon moniteur attitré était du style plutôt angoissé au demeurant charmant le reste du temps (c’est cela aussi l’aviation…): il se mettait à crier dès que le moteur tournait et ne m’avait pas "lâché". Mais… ce matin-là, vers onze heures, un officier marinier vint frapper à notre porte.

- "Aspirant G…., vous devez monter au terrain, le Commandant de la 50S vous attend!"

Michel B, toujours sympa, me gratifia d’un "merde" porte-bonheur, et me voilà parti pour "là-haut" ; en effet le terrain de Lanvéoc se situe sur un petit plateau qui domine l’anse du Poulmic, là où se trouve "la Baille", l’autre nom de l’École Navale.


Michel B. sur Stampe

Le lieutenant de vaisseau Y, commandait l’escadrille 50S: huit magnifiques "Sunderland", hydravions quadri-moteurs mis au point par les Britanniques pour lutter avec succès contre les "U.Boot" allemands pendant la bataille de l’Atlantique, et 30 Stampe… Il avait la responsabilité de tout un monde, y compris celle de veiller à la progression en vol et à la sécurité de 30 à 40 « poussins », volant par-ci, par-là, au gré des ouiquendes. Son accent languedocien donnait de la chaleur et de l’humanité à tout ce qu’il faisait: ce "Pingouin" nous faisait mesurer chaque jour le fossé qui existait entre un humaniste adorant son métier d’officier et de pilote, et un officier de Marine "jouant" le rôle d’instructeur de cadre en École. Connaissait-il ma vocation? Savait-il que je passais des dimanche entiers à attendre que le ciel se dégage pour voler ? Toujours est-il qu’il avait décidé de passer lui-même le vol de contrôle pour le lâcher.

Lâcher Stampe

Avec deux roues principales et une roulette de queue, le Stampe est un avion dit à train d’atterrissage "classique" qui se pose soit en « trois points » à basse vitesse - exercice délicat - où l’avion cabré touche des trois roues en même temps, soit « deux points » c’est à dire plus rapidement sur le train principal. En principe, c’est plus facile…

Le vol se déroulait bien, je posai "trois points" l’avion sans faire d’erreur; devant, le "pacha" (c’est à dire le commandant) disait que tout cela lui paraissait très bon puis me dit de passer au posé "deux points". Las, mon moniteur d’angoisse ne m’avait jamais appris cela et, sous le coup de l’émotion, je me mis à faire des circuits qui ne ressemblaient plus à rien, garantie de rater la finale et l’atterrissage. Toujours très détendu, mon contrôleur me demanda d’effectuer alors un dernier atterrissage "trois points". Je posai l’avion et le reconduisis à l’aire de stationnement, pensant que c’en était fini pour mon lâcher. A ma surprise, le pacha me dit de rester aux commandes, descendit de l’avion, m’assura que tout était très bien, que "le deux points" (il l’avait compris) on me l’apprendrait plus tard…

- "Donc en route pour trois circuits et à tout à l’heure !"

Envol Stampe

C’est ainsi qu’à l’heure de midi je fis mon premier "lâcher". Lorsque je descendis de l’avion, le roi n’était pas mon cousin, mais le lieutenant de vaisseau Y, un petit peu, oui, et mon ami Michel B, tout à fait. Riche de ma toute nouvelle solde d’aspirant, je fis avec Michel ma première sortie en presqu’île (de Crozon) le samedi suivant (après 20 mois à l’École…) où nous arrosâmes notre lâcher avec un grand plateau de fruits de mer et beaucoup de muscadet. Plaisirs simples et innocents dont le souvenir reste vivace.

Nota: lorsque ceci fut écrit, le commandant Y vivait encore dans le Languedoc, Michel B… finissait à Versailles un livre savant sur les baleines publié depuis.

Goz Beïda, le 20 juin 2002

L’armada étoilée et les plumes du canard (1967)

C’était au temps où le Général de Gaulle présidait aux destinées de la France. En ce mois de février 1967, se déroulait un grand exercice franco-américain. Dans le rôle de l’attaquant: la 6éme Flotte américaine en Méditerranée avec son armada d’avions de combat "Phantom", "Skyhawk" et autres...

Les "attaquants"...
(sources photos: ici, , )

Dans celui du défenseur: la défense aérienne avec les Mirage III C et Super Mystère B2 de l’Armée de l’Air que les 12 Crusader de la Flottille 12F (la mienne) renforçaient.

Et les "défenseurs"!
(sources photos: ici, et )

Stationnés à Nîmes - base de patrouille maritime - nous étions logés sous la tente, dormant à côté de nos destriers et divisés en deux bordées. J’étais de celle qui prenait la nuit, nuit que chacun s’accordait pour dire être celle d’une "veillée d’armes." Pilote "en alerte à 5 minutes" jusqu’à minuit, j’avais bénéficié ensuite de deux heures de repos - tout habillé - sur un lit pliant avant de prendre les fonctions de directeur des vols. C’est à 6 heures que la deuxième bordée devait nous relever.

Nuit d’hiver, froide, ciel couvert; à 5h30 j’avais bu un bon bol de café aussi noir que chaud. Bien m’en avait pris après cette longue nuit. A 6 heures tapantes, le Commandant de la 12F, Capitaine de Corvette HLP, en tenue vol mais encore mal réveillé, arriva pour relever le pilote d’alerte à 5 minutes. Quant à moi, je restais un peu plus longtemps directeur des vols, faute de voir arriver ma relève, le Lieutenant de Vaisseau H de G.

C’est à ce moment que la sonnerie de l’alerte retentit. "Décollage immédiat pour le premier avion. Le pilote en alerte à 15 minutes passera à 5". Ce dernier, Maître Principal D n’était pas encore arrivé lui non plus…. Je voyais bien que le "Pacha"* n’était pas à l’aise. Le pilote qu'il venait de relever était un jeune officier marinier et décemment, le Pacha ne pouvait pas lui dire qu’il n’était pas en forme. Se tournant vers moi, il me demanda comment je me sentais. Je lui répondis donc: "en pleine forme, d’autant que je viens de boire un café chaud…" La "porte" était ouverte, il s’y glissa en me demandant si je me sentais assez bien pour partir en vol. Comme j'avais la réputation d’aimer la nuit, il n’avait pas trop de scrupules à avoir. Cinq minutes après, aligné en bout de piste, je mettais plein gaz et, "cassant la manette", enclenchai la post-combustion. Après une nuit blanche, il y a une petite satisfaction à réveiller une base de « PatMar » et la moitié de la ville de Nîmes…A près décollage je passai rapidement sous le contrôle du Radar de Défense aérienne et montai en moins de deux minutes au travers de l’épaisse couche de nuages.

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Interrompu par le médecin-chef italien du district de Sila**: départ pour Daguessa: un accouchement difficile. A l’arrivée, l’enfant mort-né (cordon) rend l’évacuation inutile. L’infirmier, après un examen approfondi et des soins, décide de laisser la mère sur place. Je reprends ma rédaction, 6 mois plus tard, toujours à Goz Beida…

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Entre 20 et 30000 pieds des bancs de nuages laissent de grands espaces libres dans lesquels le jour commence à poindre. Sur la fréquence, j’entends les Mirage de l’Armée de l’Air qui eux aussi orbitent au régime économique. Bientôt, on m’annonce l’arrivée d’un deuxième Crusader qui me rallie. A la voix je reconnais le Maître Principal D. Sympa.

Et puis, et puis… au Sud, des traînées apparaissent tandis que sur la fréquence, le contrôleurs commencent à s’agiter et nous guident sus à "l’ennemi": c’est qu’en effet l’armada américaine approche en bon ordre. 10, 20, 50 et plus, des avions rangés en ordre d’attaque, avions d’assaut au centre, Phamtom de protection au-dessus, au-dessous, derrière et devant. Et nous, et nous… juste deux Crusader et trois Mirage qui nous lançons sur la meute, remplissant nos viseurs et nos caméras d’avions à étoiles blanches crucifiés, tout en faisant attention à ces zigotos de l’Armée de l’Air ("les zizis") qui pourraient confondre un Crusader (de fabrication américaine certes) à cocarde Marine (bleu blanc rouge et une ancre) avec un Phantom ou un Skyhawk étoilé. C’est aussi cela, la guerre des boutons…

Dans ce monde nuageux, au jour naissant, ce sont là des images qui me sont restées gravées. Puis après quelques minutes, tout s’est calmé. L’armada a continué sa progression vers ses "objectifs" tandis que d’autres chasseurs de la Défense Aérienne l’interceptaient à leur tour. D. m’a rallié en formation serrée et m’a demandé de le ramener au terrain. Ce que je fis traversant dans l’autre sens la couche de 20000 pieds de nuages encore bien sombres.

Au "débriefing" nous avons fait des envieux. C’était bien sûr le vol qu’il ne fallait pas rater. Le Pacha était content pour moi; quant à D;, il m’a avoué être mal réveillé et avoir apprécié ma "souplesse de pilotage" pour le ramener. Bien sûr, le compliment m’est passé dessus comme l’eau sur les plumes d’un canard de la 12F. Mais comme chacun sait, les canards adorent ça…

Insigne de la 12 F
(source photo: ici)

Goz Beïda, 19 et 20 juin 2002.


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* "Le Pacha" : surnom donné au commandant dans la Marine, ici en l'occurrence le capitaine de corvette HLP, commandant de la 12F.

** La plupart de ces anecdotes ont été rédigées à Goz Beida (Tchad), lors des périodes de calme entre deux missions d'évacuation avec Aviation sans Frontières.